La tendance est à la médicalisation de la souffrance psychologique de nos jeunes
Les nombreuses années de sous-financement de la santé mentale au Québec, la diminution du nombre de psychologues dans le réseau public de la santé et de l’éducation combinées avec la pandémie nous amènent de plus en plus vers une augmentation de l’utilisation de la médication pour traiter la souffrance psychologique de nos jeunes.
En décembre 2020, on notait une augmentation de 21 % des ordonnances d’antidépresseurs chez les jeunes filles de 17 ans et moins comparativement à décembre 2019 (RAMQ). Déjà avant la pandémie, une augmentation de 65 % de l’utilisation des antidépresseurs était rapportée chez les adolescentes. S’agit-il de la voie que nous voulons prendre comme société ?
La psychothérapie est le traitement à privilégier chez les enfants et les adolescents qui présentent des difficultés psychologiques. Ce traitement leur permet de développer des habiletés qui leur serviront pour le reste de leur vie. Par exemple, la psychothérapie peut les aider à mieux tolérer la détresse et à reconnaître ce qui déclenche certaines émotions, ce que ne fait pas la médication.
Toutefois, faute d’accès aux services psychologiques, les médecins n’ont souvent d’autres choix que de prescrire des antidépresseurs à des enfants de plus en plus jeunes.
Nous savons qu’ils prennent cette décision par dépit, en sachant que la médication peut engendrer des effets secondaires indésirables et souvent parce qu’ils jugent qu’il y a un risque pour la vie du jeune qui se trouve devant eux. Ils choisissent le moindre mal et nous les comprenons.
Pour leur part, les parents se retrouvent dans une situation difficile : ils préféreraient que leur enfant n’ait pas à prendre des antidépresseurs si jeune, mais d’un autre côté, ils ne peuvent plus le regarder dépérir sans rien faire. Ils savent que la psychothérapie serait le meilleur traitement, mais ils n’ont pas les moyens de consulter un psychologue en privé et se butent à des réponses comme : « la psychologue scolaire est ici seulement une journée par semaine » ou « l’attente pour voir un psychologue est de plus d’un an dans notre CLSC ». Les parents et les jeunes qui prennent leur courage à deux mains pour demander de l’aide et qui se cognent sur une porte fermée vivent une souffrance et une impuissance qui nous prendraient trop de mots à décrire ici.
Améliorer l’accès aux psychologues
Une des façons de diminuer l’utilisation des antidépresseurs chez nos jeunes est d’améliorer l’accès aux psychologues dans le réseau public. C’est d’ailleurs ce que souhaitent 92 % des Québécois (CPA, CPAP & Nanos, 2020) : ils veulent que l’accès aux psychologues soit amélioré dans le réseau public spécifiquement.
Pour ceux qui pensent qu’améliorer l’accès aux services psychologiques coûterait trop cher au Québec, sachez que cela nous ferait plutôt épargner de l’argent.
En effet, il est bien documenté que l’accès aux psychologues et à la psychothérapie diminue grandement les frais associés aux hospitalisations, aux visites médicales, aux remboursements de médicaments psychotropes, etc. Par exemple, en 2019, les coûts associés aux remboursements par la Régie de l’assurance maladie du Québec des médicaments psychotropes s’élevaient à plus de 265 millions de dollars. Actuellement, 40 % des visites médicales sont reliées à des problématiques de santé mentale.
Nous aimerions pouvoir vous dire que les problèmes de santé mentale de nos jeunes se régleront avec la levée des restrictions en lien avec la COVID-19. Toutefois, notre expérience clinique combinée avec notre connaissance de la littérature scientifique nous laissent croire que leurs parcours seront plus cahoteux. En effet, tout porte à penser que les effets psychologiques de la pandémie perdureront bien au-delà de l’arrêt des mesures sanitaires.
Comme société, voulons-nous rester passifs devant cette médicalisation de la souffrance psychologique de nos enfants ? En tant que professionnels en contact quotidien avec la souffrance des jeunes, nous avons le devoir d’intervenir pour que leur avenir soit le reflet de leur plein potentiel. Penchons-nous en priorité sur cette question puisque le retour en arrière risque d’être difficile.
Il n’y a pas de solution miracle, mais il faut bien commencer quelque part et faire tout ce qui est en notre pouvoir afin de favoriser le bien-être psychologique de nos jeunes. Ils sont les parents, les enseignants, les décideurs de demain. Nous avons la responsabilité collective de minimiser l’impact à long terme de la pandémie sur leur développement et leur bien-être psychologique. La Coalition des psychologues du réseau public québécois a des solutions pour régler certains des enjeux de ce dossier très complexe. Nous espérons de tout cœur qu’elles seront mises en place rapidement et que la santé psychologique de nos jeunes deviendra une priorité nationale.
Karine Gauthier, psychologue/neuropsychologue
Cosignataires de la Coalition des psychologues du réseau public québécois : Connie Scuccimarri, psychologue ; Catherine Serra-Poirier, psychologue ; Béatrice Filion, psychologue ; Loredana Marchica, psychologue ; Youssef Allami, psychologue ; Vickie Beauregard, psychologue
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