Lettre ouverte publiée dans le Journal Métro, Le Journal de Montréal, Le Journal Québec (3 nov. 2020), Le Soleil, La Tribune et Le Devoir (4 nov. 2020).
Alors que les psychologues du réseau public informent le gouvernement de ce qui pourrait régler les problématiques majeures de rétention et d’attraction de cette profession depuis plus d’une décennie, le plan en santé mentale de 100 millions $ ne les a pas considérés.
Pour améliorer l’accès aux psychologues, le gouvernement a plutôt choisi une solution temporaire qui prendra fin en mars 2022: le remboursement, par le gouvernement, des frais liés aux services psychologiques dispensés par des psychologues en bureau privé. Si cette proposition peut être louable à court terme pour diminuer les listes d’attente, elle doit toutefois impérativement aller de pair avec l’amélioration des conditions de travail des psychologues du réseau public, notamment un rattrapage salarial et une valorisation de leur autonomie professionnelle. Sans quoi, le remboursement des frais des psychologues du privé à un tarif beaucoup plus élevé que ce qu’ils reçoivent comme employé du gouvernement accélérera lourdement l’exode des psychologues qui se battent depuis trop longtemps déjà pour une meilleure reconnaissance.
Certains peuvent alors se demander: a-t-on vraiment besoin des psychologues dans le réseau public? Pourquoi la population ne pourrait-elle pas juste recevoir les services des psychologues en cabinet privé? Pour répondre à ces questions, il faut comprendre ce qui rend uniques les psychologues du réseau public et ceux qu’ils desservent, c’est-à-dire des personnes qui présentent souvent des problématiques multifactorielles qui nécessitent l’intervention d’une équipe interdisciplinaire ou d’une expertise spécifique. À titre d’exemple, voici quelques situations dans lesquelles les psychologues du réseau public sont impliqués quotidiennement:
Un étudiant qui a fait des menaces de mort et qui commence à se radicaliser;
Une fillette qui s’oppose à ses traitements pour le cancer par peur de la douleur et qui devra être hospitalisée plus longtemps pour cette raison;
Un adolescent négligé à répétition qui a des comportements violents et qui accepte l’aide du psychologue de la DPJ pour traiter ses difficultés relationnelles;
Une femme qui souffre d’anorexie sévère, dont la condition médicale se détériore et qui risque d’être hospitalisée;
Un adolescent présentant des idées suicidaires qui ne veut pas dire à ses parents qu’il s’automutile et qui reçoit les services de la psychologue dans son école;
Un enfant hospitalisé et orphelin suite à un accident de voiture, qui développe éventuellement des symptômes de stress post-traumatique et des difficultés à s’investir dans sa réadaptation physique;
Une personne qui se présente souvent à l’urgence en raison de symptômes psychotiques;
Une famille de réfugiés qui arrive au Québec avec un lourd bagage de traumas et qui ne parle ni le français ni l’anglais.
Les psychologues travaillent avec ces personnes afin d’amener des changements significatifs et durables pour les aider à faire face à leurs peurs, leurs défis et leurs traumas. Devant les spécificités et la complexité de ces situations, les psychologues ne peuvent intervenir seuls dans bien des cas et ont la chance de pouvoir compter sur la collaboration de leurs précieux partenaires qui ont tous un rôle distinct à jouer: travailleuses sociales, médecins, psychoéducatrices, infirmières et physiothérapeutes, pour ne nommer que ceux-ci. Bien souvent, pour le psychologue qui travaille dans le réseau public, il ne serait pas envisageable de prendre en charge en cabinet privé le type de clientèle qu’il dessert dans sa pratique au public. Effectivement, certaines situations sont trop complexes pour être traitées en solo et exigent une équipe interdisciplinaire avec une communication accrue entre divers intervenants. D’ailleurs, soulignons que pour contourner ces difficultés et bien d’autres, les programmes australiens (ATAPS, BetterAccess), qui avaient d’abord décidé d’offrir la psychothérapie par l’entremise de psychologues en pratique privée en complémentarité avec les services publics, ont entrepris récemment une réforme majeure afin de rapatrier les services psychologiques au sein du réseau public exclusivement (INESSS, 2018).
Ainsi, rester inactif face à l’exode des psychologues du réseau public vers le privé n’est tout simplement pas une option. Devant l’augmentation de la souffrance psychologique de la population et les tragédies qui ébranlent le Québec tout entier, nous avons le devoir d’agir. La solution est complexe et doit être réfléchie, mais elle doit inclure, entre autres, des actions concrètes pour attirer et retenir les psychologues dans le réseau public. Dans le cas contraire, les gens les plus vulnérables qui ont besoin des soins les plus complexes n’auront pas accès à des services psychologiques intégrés, services qui ne se retrouvent pas ailleurs.
Coalition des psychologues du réseau public québécois:
Karine Gauthier, M.Ps., Ph.D., psychologue/neuropsychologue;
Connie Scuccimarri, Ph.D., psychologue;
Catherine Serra-Poirier, Psy. D., Ph.D., psychologue;
Marc-André Pinard, D.Psy., psychologue;
Béatrice Filion, D. Psy., psychologue
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